Pour ces jeunes hommes célibataires, libres de contrat avec la société, abandonnant une vallée surpeuplée, sans travail, où il faut des années de labeur pour acquérir un lopin de terre perdu dans la montagne, où le climat est rude et la vie incertaine, l’Amérique est le  » paradis « .

Les premiers Ariégeois à s’expatrier en Amérique du Nord après la vente de leurs ours vers 1880, s’intalleront dans les Etats de New York, de Pennsylvanie et du New-Jersey. Quelques années plus tard, ils feront venir leur famille. Pour l’instant, ils travaillent intensément.

Ce continent en pleine expansion industrielle réclame de la main-d’œuvre et les ouvriers sont mieux payés que ceux de France. L’immigration se fait ressentir dans ce pays d’avant-garde, de 1881 à 1890 et de 1901 à 1910. A chaque décennies le nombre des immigrants doublera !.

Les métiers exercés par les Ariégeois touchent tous les domaines de la manutention, de l’hôtellerie ou de la restauration. Pendant de longues années, ils seront appréciés à leur juste valeur et accéderont à des postes plus importants dans la branche hôtelière : gérance et direction. Ils apprendront l’anglais, se perfectionneront en suivant des cours et parviendront à des situations hautement rémunératrices. Entre temps, ils se seront mariés mais rarement avec de jeunes Américaines. Certains attendent de revenir au pays pour choisir une épouse dans leur vallée et repartir fonder un foyer en Amérique.
A New York, dans le zoo de Central Park, se promènent en semi-liberté les ours laissés à la fin de leurs pérégrinations par leurs maîtres. Le dimanche, c’était le lieu de promenade favori des Ariégeois émigrés. Les enfants ne payaient pas l’entrée et régalaient les ours de biscuits. Ils avaient l’habitude de se rencontrer chaque semaine au centre du parc où se situe un gros rocher qu’ils avaient appelé le  » Roc d’Ercé « . C’était la grande réunion, les uns et les autres évoquant les dernières nouvelles reçues des vallées pyrénéennes.

Ainsi, pendant plusieurs générations, les montreurs d’ours partiront des deux vallées de l’Alet et du Garbet. Possédant juste une adresse, ils rendront visite à un cousin éloigné, un frère, un oncle ou un ami installé dans le pays et qui, en tant que compatriote, pourra sûrement les aider à s’intégrer plus facilement. La filière des montreurs d’ours était née. Les deux histoires suivantes en font témoignage.

Jean Galin montreur d’ours dit Laréou d’Aulus, né vers 1857, décédé à plus de 80 ans à Aulus, quitte la vallée du Garbet vers 1880 et rejoint New-York. Comme la plupart de ses prédécesseurs, il couchait tous les soirs à côté de la voie du chemin de fer et s’endormait avec son ours, l’un près de l’autre de telle sorte qu’aucun maraudeur ne s’approchait ni de la bête ni de l’homme. Galin avait toujours sur lui une grosse somme d’argent et des pièces d’or !… La nuit, la bête sauvage le protégeait des éventuels vagabonds. Après de grands périples à travers les Etats-Unis, il vendit l’ours et s’installa dans la restauration où il travailla très longtemps.

Son neveu Pierre Galin dit le Carol d’Aulus (né le 28 novembre 1895) partit avec son épouse Madeleine (née le 17 avril 1900) rejoindre son oncle en 1923. Le voyage dura huit jours en bateau sur le « Paris ». Pierre s’installa comme boucher en hôtellerie et son épouse comme couturière. Après avoir travaillé pendant dix ans, ils décidèrent de revenir en France avec leur oncle. C’est en 1932, après douze jours de traversée sur le paquebot « De Grace » que Galin Jean dit Laréou retrouva son pays natal. Il décède le 16 avril 1978.