De 1815 à 1848, les Bourbons règnent à nouveau sur la France : c’est la Restauration. A la suite de l’effondrement de l’Empire, écrasé par les souverains de la vielle Europe, Louis XVIII ( frère de Louis XVI ) monte sur le trône et tente d’établir un compromis entre les traditions de l’Ancien Régime et les aspirations de la France nouvelle, Charles X, qui le remplace en 1824, continue la même politique.

        C’est dans ce cadre qu’est mis en place le Code Forestier de 1827 : loi votée le 27 mai par le gouvernement. « Le Code impose une nouvelle réglementation de l’usage des forêts, en particulier concernant le ramassage du bois, les coupes et surtout le pâturage désormais Mis en défens ( interdit )« 1 , le droit de marronage ( exploitation du bois de construction ) , et les droits de chasse, de pêche et de cueillette, sont aussi remis en cause.

        Concrètement, dans le Couserans, l’application de ce Code se fait à partir de 1829 : l’état a laissé deux années aux communautés de vallées pour faire appliquer la loi, depuis son vote. Le nombre de verbalisations et de saisies de troupeaux en délit se multiplient, à partir de cette date : les procès verbaux passent de 200 en 1825, à 1000 en 1829. La population ne peut supporter ses interdictions, car elle a toujours utilisé ces espaces quelqu’en soit les propriétaires, et elle est surtout dépendante de ces utilisations séculaires. Le zèle des gardes Forestiers semble accentuer l’injustice ressentie par les habitants de ces vallées couserannaises surpeuplées et pauvres. Un commandant de Gendarmerie écrit dans une conclusion de rapport sur les troubles de 1829 :  » … cet état de chose de la part des paysans vis à vis des gardes forestiers est attribué

    1. A l’extrême besoin où se trouve les habitants de ce pays d’avoir des pacages pour leurs bestiaux qui forment toutes leurs existences
    2. à la cupidité vraiment coupable des agents inférieurs de l’administration forestière qui journellement composent avec leurs devoirs en faisant contribuer illicitement les paysans, et verbalisent contre eux;

    C’est du moins ce qui m’a été assuré sur les lieux par plusieurs notables du païs« 2

        La réaction des Couserannais sera la création spontanée d’une guérilla locale, qui vise tous ceux qui représentent un obstacle à l’utilisation des bois : les Gardes Forestiers, les Charbonniers, les Gendarmes envoyés dés le mois de juin 1829. Ce mouvement contestataire naît dans le Castillonnais. 

        Les premières Demoiselles sont en fait des bandes de paysans masqués plus ou moins armés, et plus ou moins déguisés en femme : le visage noirci, une peau de mouton ou un tissu sur la tête et les braies ( chemises ) par-dessus les pantalons ( ils se débraillaient ). Tout ceci pour ne pas être reconnues. Elles apparaissent pour la première fois dans la vallée de Barlonguère en avril 1829, puis s’étend dans le Massatois et le canton d’Oust.

        « Cette jacquerie submerge le Castillonnais« 3  et s’étend rapidement dans tout le Couserans. La démarche est de s’opposer et de résister aux saisies des gardes forestiers : à Saint-Lary ( vallée de Barlonguère ), 20 gardes veulent s’emparer des bêtes de 6 paysans en délits, mais ils se retrouvent face à une centaine de paysans déguisés et armés qui les insultent, lancent des pierres et tirent des coups de fusils. Les gardes doivent s’enfuir, et 4 brigades de Gendarmerie sont envoyées de Saint-Girons en renfort. Les Demoiselles s’en prennent aussi aux charbonniers, à qui elles reprochent d’abattre « leurs » arbres et d’exploiter « leurs » propriétés. « La tactique des demoiselles est simple et adaptée au terrain. Elles opèrent par vagues pour susciter la peur en harcelant l’adversaire jusqu’au moment où gardes, gendarmes et charbonniers abandonnent le terrain« 4 .

        Les événements sont de plus en plus importants : le 24 janvier 1830, défilent à Balaguère, le jour de la fête locale, des Demoiselles armées de sabres, de fusils, et de haches. Trois jours plus tard, 400 à 500 personnes entrent en force à Massat et y défilent en criant : « A mort les gardes forestiers« 5. Le 17 février, c’est la même chose, avec un effectif doublé : le maire de Massat évite de justesse l’affrontement. Dans la nuit du 10 au 11 mai, à Saleich à la limite du Couserans, un garde forestier tue un des assaillants de sa maison.

AAAACes quelques exemples montrent la détermination des Demoiselles, et provoquent une vague de terreur dans les vallées, comparable à la Grande Terreur de la Révolution de 1789. Cette révolte est connue et entendue de Toulouse à Paris, où dès 1830 se joue au Théâtre des Variétés « Le Drame des Demoiselles ».                A partir de l’été 1830, les interventions vont se faire plus violentes. « La révolution 1830 fit l’effet d’huile sur le feu« . Pendant cette révolution et les émeutes parisiennes, le mouvement des Demoiselles s’étend dans toute l’Ariège, et s’attache maintenant à provoquer les grands propriétaires, en particuliers les maîtres de Forges qui utilisent le bois en grandes quantités pour leurs usines métallurgiques : alors que les plus pauvres sont punis, les maîtres de Forges continuent à surexploiter la forêt pour leurs propres intérêts.

        A Boussenac, c’est 60 demoiselles qui attaquent les métairies de la famille Laffont, trois jours plus tard, la commune est condamnée à payer 20000 francs à la famille Laffont : la nuit du 3 au 4 avril 1830, les Demoiselles anéantissent le reste des bâtiments et des plantations. A Aston, au-dessus d’Ax les Thermes, c’est le château Gudanes qui est menacé. Le 7 puis le 10 août, le château est pillé. Le 15 août, à Ustou, les habitants de la vallée armés de haches, de bâtons, et d’objets divers, investissent avec « des hurlements et des vociférations épouvantables » la demeure de Jacques Saint Jean de Pointis, maire d’Ustou : ils brûlent les granges et pillent le château.

        Jusqu’à la mi-septembre, les troubles se multiplient. Puis soudain, se calment : une Commission Départementale des Forêts est créée et mise en place, le 27 septembre, elle est susceptible d’amener des solutions aux revendications des Demoiselles. Mais du mois de novembre 1830 au mois de mars 1831, les émeutes reprennent. Certains propriétaires sont contraints de céder des droits aux Demoiselles sous cette pression importante, dévastatrice et impressionnante.

        A Ustou, les propriétés de M de Pointis sont encore ravagées par des incendies criminels. Le 7 mai 1832, 50 habitants d’Ustou armés et costumés, chassent des charbonniers de la forêt à coups de fusils : ils sont chassés d’une parcelle vendue par M de Pointis.

        Pour les 20 années qui suivent, les troubles sont moins importants mais néanmoins présents. Les dernières interventions sont constatées dans le Massatois et la vallée de la Bellongue en mai 1866 et mai 1867, et pour se terminer en 1872.

                « La Guerre des Demoiselles »6 a été très intense entre 1829 et 1832. Après, leurs actions ont été plus sporadiques et éparses. Si au départ, cette rébellion n’avait pour but que de protéger les biens de survivance, elle s’est transformée sur toute l’Ariège en attaques et vandalismes pour faire pression, sur les propriétaires des bois et des forges, en pleine activité. « Touchés dans leurs intérêts les plus vitaux, les montagnards ariégeois avaient alors prouvés leur capacité à défendre des droits d’usages immémoriaux« 7.

Rieu Patrice, Janvier 2001.

NOTES

( 1 ) : L’Encyclopédie des Pyrénées
( 2 ) : La Guerre des Demoiselles, Jean François Soulet Les Pyrénées au XIXème siècle, éditions Eché 1987. 
( 3 ) : Ariège, Encyclopédie Régionale, Éditions Bonneton, mai 1996, p 72.  
( 3 ) :
La Guerre des Demoiselles, Jean François Soulet Les Pyrénées au XIXème siècle, éditions Eché 1987
( 5 ) : Expression exagérée et utilisée à partir de 1857 par un littérateur local.
( 6 ) : Ariège, Encyclopédie Régionale, Éditions Bonneton, mai 1996, p 72

Bibliographie : François Baby, La Guerre des Demoiselles, 1972.